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L’épidémie psychologique

Elliot Vaucher
5 min readMar 24, 2020

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Et si l’on se trompait d’épidémie, et si l’on se trompait d’ennemi ? L’ennemi c’est nous-mêmes, l’épidémie est psychologique.

On peut comprendre la logique d’une courbe exponentielle, impossible de comprendre ce qui se passe dans le cerveau irrigué de patriotisme héroïque d’un quarantenaire qui insulte à gorge déployée des adolescents qui discutent dans un parc

Ce contre quoi nous avons à lutter ce sont nos propres fantasmes transposés dans le réel. Nous demandons aux autres de respecter nos propres peurs, de se cloisonner dans nos propres limitations. Nous demandons aux Etats d’interdire les comportements que nous n’avons plus le courage de faire, d’imposer une limitation de l’énergie que nous n’avons plus en tant que société. Nous sommes à bout de souffle, à bout de rêves, à bout d’imagination, et nous saisissons l’occasion qui s’offre à nous pour stopper même les derniers rêves de ceux qui rêvent encore, les dernières ambitions de ceux qui en possèdent encore.

Qu’est-ce qu’on nous vend ? Des services en ligne, des abonnements Netflix, la toute puissance des réseaux ? Nous glorifions les outils qui nous permettent de les glorifier. Et tout cela pour quoi ? Parce qu’une statistique nous asservit. Qui peut prétendre mesurer le coût social, économique, psychologique, et finalement humain, d’une décision que tous semblent prendre à l’unanimité, sans le moindre doute, sans le moindre espace de réflexion ?

C’est une urgence, nous dit-on, et dans l’urgence il faut agir vite. C’est précisément dans ce genre de moments que la pensée est fondamentale, avec le temps qui lui est nécessaire, avec les dangers qu’elle comporte, avec son apparence de rébellion qui lui colle à la peau.

L’héroïsme, le patriotisme, le nationalisme, sont revenus d’une seconde à l’autre comme les valeurs les plus nobles. Nous voyons apparaître sous nos yeux un patriotisme sans précédent, mâtiné ça et là de prétentions humanistes : sauver la suisse, diront certains, sauver l’humain, diront d’autres. Mais derrière tout cela renaît un héroïsme à la petite semaine de personnes qui se glorifient de transmettre la bonne parole, sans le moindre doute sur les solutions qu’ils proposent. Voyez cette nouvelle gauche soi-disant libertaire, anti-paternaliste, défendant la libération sexuelle, l’abandon des catégories traditionnelles, qui du jour au lendemain en vient à édicter des chartes ultra strictes de comportement licites et illicites. “Vous avez le droit de prendre votre vélo pour sortir, vous devez éviter de voir vos proches trop souvent”. À peine une situation de crise impliquant l’ensemble de la société se présente qu’elle devient plus autoritaire que tous les systèmes qu’elle a tenté de déconstruire pour exister.

Mais c’est normal. C’est psychologique. On se sent planer dans ce genre de moments qui impliquent de “sauver son prochain”. Oui, je participe a l’intérêt général, au bien commun, à la sauvegarde de l’espèce humaine !

Qui peut prétendre savoir ce qui sauvera l’espèce humaine ?

En tous cas pas un individu biberonné aux médias de masse qui saute sur la première occasion de devenir un héros en transmettant un message aussi plat que « stay the fuck home ».

L’autre jour, au moment des applaudissements de 21h, un individu sur son balcon, la quarantaine, a commencé à insulter un groupe de trois adolescents qui traînaient dans le parc “rentrez chez vous bande de connards !”. C’était violent, c’était haineux, ça a duré longtemps, c’était inutile, c’était 21h un samedi soir, trois adolescents.

On peut comprendre la logique d’une courbe exponentielle, impossible de comprendre ce qui se passe dans le cerveau irrigué de patriotisme héroïque d’un quarantenaire qui insulte à gorge déployée des adolescents qui discutent dans un parc.

La stratégie qui a été adoptée en est une parmi d’autres. Nous l’avons choisie. Très bien. C’est un fait. Nous sommes déjà en train de l’appliquer. N’en déplaise aux colériques qui font passer leur besoin de violence sur des adolescents naïfs, forts de nouvelles normes sociales militaristes qu’ils sont tout contents de pouvoir appliquer à la lettre pour assouvir leurs pulsions de contrôle, la majorité des gens reste déjà à la maison. Nous appliquons la stratégie du confinement. C’est un fait.

Mais l’important est de continuer de comprendre que ça n’est qu’une stratégie. Ne pas s’obstiner à croire qu’il faut aller de plus en plus fortement dans cette direction, sans en discuter d’autres.

À ce stade, nous sommes déjà proches d’une population qui accepterait de remettre toutes ses libertés dans les mains de l’Etat sous prétexte qu’il la protège. On parle ici de surveillance des déplacements, de politiques monétaires où la Banque Nationale vous donnerait directement de l’argent tout en vous prescrivant où et dans quels commerces le dépenser… Ceux qui, hier encore, luttaient pour le respect des données privées sont les premiers à vouloir imposer à tous un confinement généralisé et maîtrisé par des outillages techniques de surveillance, le tout imposé par la loi. Ceux qui hier encore se dressaient contre le paternalisme de l’Etat sont les premiers à l’implorer de prendre des mesures plus drastiques. Souvenez-vous que les plus grandes techniques d’espionnage américaines, sur leur propre population et sur la planète entière, ont été légitimées à l’origine par la “sécurité nationale”, par la “raison d’Etat”.

Que la menace soit passée d’une menace exogène dans le cadre de la Guerre Froide ou du terrorisme, à une menace endogène dans le cadre d’une pandémie ne change rien à la réaction. Systématiquement, lorsque la peur nous atteint, nous sommes enclins à chercher à être protégés. C’est dans ce genre de moments que les Etats reprennent toute leur puissance symbolique. C’est une aubaine pour tous les dirigeants en place actuellement. On leur confère un pouvoir quasiment divin.

A-t-on vraiment envie de démarrer, maintenant, et sous prétexte du Coronavirus, la nouvelle vague de surveillance technologique que toutes les pires dystopies nous ont présenté ces dernières années ?

Continuons de discuter d’autres alternatives.

Ce qui m’effraie, personnellement, est ce besoin de “constance”, cet entêtement sur ses propres résolutions, propres à l’humain. Quand il a choisi une stratégie, il la défendra corps et âme, jusqu’au bout, même si elle se révèle catastrophique sur le long terme. Ceux qui ont crié haut et fort sur Twitter, dans la presse, sur leur page Facebook, dès le début, qu’il fallait mettre tout le monde en quarantaine, continueront probablement de défendre cette stratégie même si on se rend compte de ses faiblesses, de son absurdité ou de ses dangers. Parce que nous ressentons le besoin d’être “constants”, d’éviter de se trahir soi-même en changeant d’avis. Selon cette logique, plus on s’enlise dans la stratégie statistique, plus il sera difficile de garder la tête froide, les idées claires, de se donner une certaine souplesse et de parvenir à réorienter le tir si l’on constate que les choses ne fonctionnent plus.

Continuons de discuter d’autres alternatives. Ne traitons pas d’inhumain celui qui relativise les morts que font ce virus avec celles qu’ont fait les guerres des grandes puissances occidentales aux quatre coins de la planète ces dix dernières années, ou celles que feront une dépression économique mondiale si l’on continue à ce rythme, ou celles que provoqueront les dérèglements climatiques qu’on nous annonce depuis longtemps. Qui peut prétendre dicter aux autres ce qui est humain ou ce qui ne l’est pas ? Comment se fait-il que du jour au lendemain il y ait tant de spécialistes de l’éthique qui maîtrisent tous les tenants et aboutissants d’un choix moral aussi complexe que celui qu’on est en train de nous imposer comme une évidence ? Comment est-ce possible ?

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Elliot Vaucher

Les réflexions publiées ici n’engagent que moi.